Le réveil est un peu rude ce matin, car Xavier et moi avons peu dormi afin d' immortaliser le premier coucher de Soleil arctique sur nos appareils photos. Pourtant aujourd'hui, une grosse journée nous attend. Nous allons devoir quitter le col où nous nous trouvons pour descendre la totalité du glacier Grete Gletscher. Mais pour l'instant, l'heure est au petit déjeuner. Les réchauds à essence crachent déjà leur flamme dans un vacarme assourdissant. L'eau est en train de frémir dans les casserolles et tout le monde s'affaire à démonter le camps. Toby est encore endormi, lotti au milieu des rochers. Je me presse pour sortir du duvet car c'est moi qui porte les rations de céréales des petits déjeuner dans mon sac-à-dos, et je sens comme une certaine impatience chez mes co-équipiers. Nos petits déjeuners se composent de céréales, café soluble, thé ou chocolat (selon les goûts) et de lait en poudre. C'est assez sommaire mais suffisant pour démarrer la journée du bon pied. Pour Xavier et moi, le camps est vite plié étant donné que nous n'avons pas monté la tente hier soir pour dormir en plein air, ce qui je dois bien reconnaître, a des avantages non négligeables, surtout le matin lorsqu'on est pas encore complètement opérationnel.
Nous nous mettons finalement en marche sur les coups de neuf heures. Dans le ciel, il n'y a pas l'ombre d'un nuage (A cette époque de l'année la côte Est du Groenland bénéficie d'un régime anticylconique en raison d'une masse d'air froid descendue du pôle qui maintient la pression atmosphérique à un niveau élevé). Un couloir mène directement au glacier depuis le col mais la présence de rimaye en bordure de la langue de glace nous oblige à trouver un itinéraire de descente plu sûr. Aussi, nous décidons de poursuivre notre course sur l'arête qui conduit au col, en espérant trouver un passage pour atteindre la glace. Le paysage dans lequel nous évoluons est majestueux. Le glacier est gigantesque et il est dominé par d'imposantes montagnes hérissées de piques acérées qui se dressent vers le ciel. Ici on se sent minuscule et insignifiant devant tant de gigantisme. Nous atteingons l'extrêmité de l'arête et parvenons à un deuxième col. Si nous poursuivons, nous allons remonter vers un autre sommet et nous éloigner du glacier. Nous n'avons plus d'autre alternative que d'emprunter le couloir d'éboulis qui se présente à nous. Toby ne fait plus d'histoires à présent, il est parfaitement aguerri aux spécificités du terrain montagneux. Mika s'engage le premier, suivi de Xavier. Nous suivons leurs pas tour à tour. Le versant est très raide et des pierres dégringolent de temps à autre. Soudain, alors que le groupe arrive à mi-pente, un pan entier du pierrier se met en mouvement et glisse inexorablement vers au fond du couloir tel un manteau de neige entrainé par une avalanche de fond. Tout le monde s'immobilise sous les ordres de Mika, en attendant que le glissement se stabilise et s'interrompe enfin. L' alerte passée, Nous nous hâtons de terminer la descente afin de rejoindre au plus tôt la glace et nous mettre à l'abris d'un nouvel éboulement.
Nous prenons enfin pied sur le Grete Glesher, immense, d'une blancheur cristaline, sans doûte le plus beau glacier de notre voyage. Comme toujours, nous abordons le début du glacier avec prudence. De la neige est encore présente et dissimule les nombreuses crevasses. Toby n'aime pas être attaché avec son ''harnais'' bricolé et refuse régulièrement d'avancer en se laissant trainer par Mika sur la glace devant nos regards amusés. La neige disparaît et cède peu à peu sa place à la glace vive, nous mettant ainsi hors de danger car les crevasses sont à présent parfaitement visibles. Sur le bas, le glacier est parsemé de bédières. Ces torrents aux eaux bleutées qui se forment sur la glace lors de la fonte du glacier, dégagent une puissance impressionnante. L'eau gronde et vibre sous nos pieds, insuflant la vie à toute cette masse de glace inerte. La vie, qui se résume à bien peu de choses dans ces contrées extrêmes, ne doit son salut qu'à la présence des millions de litres d'eau contenue au coeur des glaciers. Tout ce ruissellement est à l'origine de la formation des vastes bassins sédimentaires situés au bas des vallées glaciaires et composés du limon qui fertilise les sols sur lesquels pourront se développer lichens, mousses ou autres bouleaux nains qui constituent la toundra. Sans les glaciers, il n'y aurait pas de vie. Je comprend soudain combien les glaciers polaires sont précieux à la planète, car en plus de constituer la plus importante réserve d'eau douce du globe, ils ont un rôle majeur dans la régulation de la température des masses d'air et par conséquent sur le climat . Les glaciers constituent un patrimoine essentiel dont la disparition affecterait l'humanité toute entière.
Après quatre longues heures de marches nous atteignons la moraine. Nous avons descendu les deux tiers de la langue de glace, mais nous décidons de changer notre parcours initialement prévu. Au lieu de descendre la totalité du glacier, nous préférons remonter vers un vaste dome débonnaire aperçu lorsque nous étions plus haut sur le glacier et dont l'accès est harduement défendu par une longue épaule très pentue qu'il va nous falloir remonter. En reprenant de la hauteur, nous espérons ainsi profiter une dernière fois de l'extraordinaire vue sur les montagnes du Liverpool avant d'entamer notre retour sur Ittoqqotoormiit par la rive Est du Hurry Fjord.